L’organisation de l’édition 2020 de la Fête Arc-en-ciel avait prévu lui donner de la visibilité, pour souligner son implication dans l’ADSGUL et en particulier son initiative entourant la « Grande Nuit des Reines », et reconnaître son statut de leader au sein de la communauté LGBT+ de Québec, mais la pandémie mondiale a bouleversé tous les plans. Pour démontrer sa détermination à demeurer forte et bien vivante, l’Alliance Arc-en-ciel a pensé lui offrir une nouvelle tribune, cette fois-ci virtuelle, pour vous le faire découvrir et vous introduire à sa vision du mouvement. C’est également pour l’Alliance une façon d’ouvrir un dialogue sur ce qui se passe en Amérique du Nord à propos du racisme systémique, et de rappeler que la communauté LGBT+ de la grande région de Québec est concernée. Voici donc cinq questions que nous tenions à poser à Laurent Francis Ngoumou (L.F.N.).
Alliance Arc-en-ciel : Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas déjà, pourriez-vous décrire votre parcours de militant ?
L.F.N. : Je suis étudiant au doctorat en travail social, avec une majeure en sciences politiques à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval sous la direction de Michel Dorais. Mes intérêts de recherches portent sur :
- Les enjeux des politiques migratoires internationales des personnes d’origines africaines et caribéennes;
- Les stratégies de mise en place d’une réforme plus approfondie de la Convention Genève de 1951 relatif au Statut des Réfugiés et du protocole de 1967;
- Le racisme systémique, les barrières psychosociales vécues par les minorités sexuelles afro-caribéennes dans leurs pays d’origines et dans leurs pays d’accueils;
- Les défis et enjeux du travail social auprès des personnes de la diversité sexuelle et de genre ainsi que des personnes migrantes dans le but d’améliorer les pratiques sociales à leur endroit (intégration et intervention sociale en contexte international), en particulier le cas des personnes d’origines africaines et caribéennes;
- L’évaluation de la jurisprudence du 7 novembre 2013 de la Cour de justice de l’Union européenne sur la question de l’appartenance des demandeurs d’asile à un certain « groupe social »;
- La réalité sociale des minorités sexuelles en Afrique subsaharienne (contexte précolonial, colonial, postcolonial) et les barrières systémiques à leur intégration sociale dans les pays d’accueil, en particulier le cas du Canada, de l’Allemagne et de la Belgique;
- La promotion la diversité sexuelle et de l`ethnoculturalisme dans la recherche en sciences sociales et dans le marché du travail.
Depuis 2018 à aujourd’hui, en tant de que président de l’ADSGUL, je peux vous dire que « Sur le plan légal, administratif et du discours, [le campus est tolérant face aux enjeux LGBTQ2+], mais il existe encore un grand fossé entre le discours de l’Université, les décisions administratives et la réalité des personnes LGBTQ ». Il y a encore du travail à faire sur le campus autant au niveau de la communauté universitaire que de l’administration.
Pour l’année 2020-2021, j’ai été élu comme vice-président chargé des affaires externes de l’AÉLIÉS. Ma mission sera de travailler à l’accompagnement, à la défense et au rayonnement des étudiants.es des cycles supérieurs à l’université Laval
Alliance Arc-en-ciel : Félicitations pour cette nomination ! Comment voyez-vous votre rôle de travailleur social impliqué dans l’inclusion et l’intégration des étudiants issus des diversités culturelle et sexuelle et de la pluralité des genres ?
L.F.N. : Comme je l’ai dit plus haut, je pense que pour l’inclusion et l’intégration des étudiants issus des diversités culturelle et sexuelle et de la pluralité des genres, il y a encore du travail à faire sur le campus autant au niveau des étudiants que de l’administration. Je le dis en me basant sur les expériences sociales vécues par ces étudiants.es LGBTQ immigrants.es qui sont jusque-là incompris.es. Ces derniers.ères doivent souvent affronter une double stigmatisation et n’ont pas de voix qui portent face aux discriminations qu’ils ou elles vivent au quotidien sur le campus ou même au sein de la société québécoise. Par exemple, on observe des situations parfois problématiques dans les résidences, comme des moqueries homophobes. Certains.es sont obligés.es de retournerans les placards de peur d’être doublement discriminés.es à cause de leur couleur de leur peau et surtout de leur orientation sexuelle. En outre, du vandalisme sur des affiches dénonçant l’homophobie, des agressions verbales perpétuées par d’autres étudiants.es sur le campus, l’utilisation de deadname par le corpus professoral et le manque de toilettes non genrées sur le campus sont tous des difficultés qui font partie du quotidien de plusieurs personnes LGBTQ2+ lavallois.es.
La violence n’est plus physique : elle est psychologique. Les chuchotements, les regards de travers, les ricanements, les stigmatisations perpétuelles sont encore bien présentes sur le campus. Je déplore aussi la lenteur des procédures administratives de l’université. Comme je l’ai dit dans mon entrevue avec l’Impact Campus : « Il y a trop de bureaucratie. La communication n’est pas bonne. Pourtant, de simples gestes pourraient faire une énorme différence. Ça commence par de grandes campagnes de sensibilisation et se poursuit avec des petits gestes pouvant réduire l’hétéronormativité du campus. Rendre tous les formulaires et les communications de l’Université Laval inclusifs serait un bon point de départ. L’université Laval est en retard sur les autres universités québécoises comme l’Université de Sherbrooke, l’UQAM et l’Université de Montréal, surtout en ce qui a trait à l’aide psychologique offerte aux membres de la communauté universitaire LGBTQ. Pour l’instant, l’aide psychologique offerte sur le campus n’est pas adaptée à la communauté LGBTQ, les gens qui sont là sont bien compétents, mais ils n’ont pas été formés spécialement pour les enjeux LGBT. Nous devons parfois diriger des étudiants vers Montréal. Ce n’est pas donné à tous. » Je pense après ces observations mon travail sera de pallier ces manquements dans mon nouveau poste.
Alliance Arc-en-ciel : Nous pouvons difficilement passer à côté des manifestations qui se passent actuellement aux États-Unis et au Canada qui dénoncent le racisme systémique. Nous aimerions avoir votre avis sur la manière dont la communauté LGBT+ de Québec devrait se sentir interpellée par cette question.
L.F.N. : Il est important de resouligner que le racisme existe au Québec. Je l’ai vécu personnellement. Aussi, les résultats d’un sondage sur les minorités sexuelles mené en 2017 par la Fondation Jasmin Roy révèle que les communautés ethnoculturelles ont plus de problèmes de discrimination que les autres personnes LGBTQ+ dans leur intégration sociale au Canada. Pour la Fondation Jasmin Roy (2017), l’offre en matière de services sociaux et de santé en lien avec la clientèle homosexuelle noire présente encore de nombreuses limites. Elle déplore la non-prise en compte des difficultés sociales que vivent les personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transgenres (LGBTQ+) d’origine africaine et caribéenne par les différentes organisations sociales gaies québécoises. Aussi, un autre rapport écrit par Jade Almeida en 2017 dénonçait ce même racisme systémique, mais rien n’est encore fait jusqu’au aujourd’hui.
Je suis d’accord avec Michel Dorais, mon directeur, lorsqu’il dit « Toutes les minorités doivent être solidaires. » Sinon, c’est la mort. Je suis consterné par ce qui se passe aux États-Unis où le président exprime son plus grand mépris envers les Noirs, les personnes LGBTQ, les progressistes, les contestataires et les gens de gauche qui croient en la vie communautaire et pas seulement au capitalisme sauvage. Il faut aussi faire l’analyse selon laquelle les mouvements LGBTQ, le mouvement #MeToo, le mouvement Black Lives Matter, n’ont pas résulté jusque-là par un coup de baguette magique. Ils sont le fruit d’une frustration profonde qui a atteint à un moment donné le seuil de saturation. Du coup, toute la colère, la frustration, la rage sédimentée dans les muscles et les cerveaux des opprimés s’est manifestée de façon spontanée. Si l’on veut restituer ses propos avec précision, ils peuvent tenir dans la phrase de Lénine selon laquelle la révolution commence le jour où un peuple décide qu’il ne peut plus vivre aujourd’hui comme il a vécu hier. Ce qui se produit actuellement, c’est une sorte de libération de cette colère. Pour éviter de répéter ce qui se passe aux États-Unis, ici à Québec, je vous propose de réellement appliquer de manière effective les recommandations que nous a produites Jade Almeida en 2017 par le canal du Conseil québécois LGBT en tant que chercheure. C’est ce qu’il faut suivre si on veut lutter effectivement contre le racisme au Québec.
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Alliance Arc-en-ciel : Nous commençons de mieux en mieux à comprendre ce qu’est l’homophobie et voir ce qui peut être fait pour participer à la décolonisation des esprits. Or, lorsqu’il est question de racisme, nous doutons que nous puissions faire un simple copier/coller de nos apprentissages. Quels pourraient être des exemples d’actions qui participeraient à cette décolonisation, et par extension, pour faire de notre société un espace plus inclusif ?
L.F.N. : Les mêmes stratégies et méthodes que je suggère dans la fiche de synthèse que je réalise actuellement avec le projet Savie LGBT en partenariat avec la chaire de recherche sur l’homophobie ( UQAM) portant sur Quelques enjeux reliés aux vécus des personnes de la diversité sexuelle et de genre d’origine africaine et caribéenne au Québec en tant que chercheur je propose :
- D’introduire des pratiques culturelles africaines dans le service social québécois dans le but de l’améliorer et d’assurer une meilleure intégration sociale des minorités sexuelles d’origine africaine et caribéenne au Québec. Nous observons qu’aux États-Unis, pour répondre aux problèmes sociaux liés aux personnes autochtones, des travailleurs sociaux ont eu recours à l’approche culturelle autochtone. Voss, Douville, Little Soldier et Twiss (1999) se sont rendu compte que pour optimiser l’intégration des personnes autochtones dans la société états-unienne, il fallait intégrer leurs pratiques culturelles dans les pratiques d’intervention sociale, ce qui a donné de bons résultats et amélioré leur intégration sociale au sein de la société.
- De faire du racisme un enjeu de société auprès de la communauté LGBTQ et auprès des autres communautés.
- D’imposer un cours obligatoire sur le racisme systémique dans les universités au Québec et auprès du personnel qui travaille au gouvernement provincial et fédéral
- De recommander au personnel d’intervention (travail social, thérapie, psychologie, sexologie, etc.) de travailler avec des personnes LGBTQ+ d’origine africaine et caribéenne compétentes dans les différents domaines cités plus haut pour favoriser une meilleure compréhension et une meilleure interprétation des problématiques vécues par ces personnes, ainsi que pour permettre une meilleure inclusion et prise en charge de ces individus au sein des services sociaux et de santé. En somme, il ne suffit pas de faire deux semaines de formation interculturelle au sujet des particularités de ces personnes pour dire qu’on est compétent pour intervenir de manière adaptée face aux réalités de cette clientèle. Il est important d’approfondir la sensibilité culturelle de l’ensemble du personnel d’intervention, mais aussi de solliciter l’avis de spécialistes qui détiennent une compréhension approfondie des réalités vécues par ces populations afin de lutter contre les incompréhensions et les inégalités vécues par les personnes LGBTQ+ d’origine africaine et caribéenne dans le milieu des services sociaux et de santé.
- De soutenir des étudiants LGBTQ+ d’origine africaine et caribéenne.
Alliance Arc-en-ciel : Le rôle que vous souhaitez jouer dans la société est certainement un travail de longue haleine. Même s’il est difficile de prédire l’avenir, particulièrement en cette période de grandes incertitudes, quelles sont les prochaines réalisations que vous aimeriez accomplir au cours des 10 prochaines années ?
L.F.N. : J’aimerai juste finir mon doctorat pour le moment et après, être au service de toutes les personnes qui n’ont pas de voix afin de les aider à la porter haut.