Le 6 avril, Marvin ou la belle éducation, film français d’Anne Fontaine, trouvera sa place dans les cinémas de Québec. Il raconte l’histoire de Martin Clément, né Marvin Bijou, qui a fui sa famille et son petit village pour tenter d’être lui-même. Librement inspiré du roman En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis, il est très loin d’Avec amour, Simon ou d’Appelle-moi par ton nom chroniqués précédemment. Marvin ou la belle éducation touche à des thématiques difficiles et ne fera probablement pas l’unanimité.
Au départ, la rumeur de la production du film le présentait comme l’adaptation du roman d’Edouard Louis, mais, finalement, l’écrivain s’est désolidarisé du film. Son roman et son nom n’apparaissent pas au générique. La réalisatrice s’est donc inspirée d’une partie du roman seulement et cela devient l’histoire de Marvin plutôt que d’Eddy qui quitte les Vosges et la Picardie.
Martin Clément, né Marvin Bijou, a fui. Il a fui son petit village des Vosges. Il a fui sa famille, la tyrannie de son père, la résignation de sa mère. Il a fui l’intolérance et le rejet, les brimades auxquelles l’exposait tout ce qui faisait de lui un garçon « différent ». Envers et contre tous, il s’est quand même trouvé des allié.e.s. D’abord, Madeleine Clément, la principale du collège qui lui a fait découvrir le théâtre et dont il empruntera le nom pour symbole de son salut. Et puis, Abel Pinto, le modèle bienveillant qui l’encouragera à raconter sur scène toute son histoire. Marvin, devenu Martin, va prendre tous les risques pour créer ce spectacle qui, au-delà du succès, achèvera de le transformer. (Résumé de cinoche.com)
Le film nous offre deux grands noms du cinéma français, Isabelle Huppert et Charles Berling, pour soutenir Finnegan Oldfield, jeune acteur français qui nous surprend chaque fois par son jeu tout en profondeur et en précision. Il est connu pour des films comme Nocturama ou Bang Gang et aura sans doute une carrière impressionnante. Le jeune, Jules Porier, qui interprète le même personnage enfant, nous laisse également pantois devant un jeu aussi juste pour une histoire si difficile. Les personnages de Catherine Moucet et Vincent Macaigne sont également touchants et font avancer l’histoire. Isabelle Huppert est une comédienne que l’on ne présente plus et qui est une des meilleures comédiennes françaises. Charles Berling fait de son côté une prestation honnête pour un personnage aux accents peut-être caricaturaux de Daddy-dandy-bobo-pygmalion homosexuel. La réalisatrice, quant à elle, a une quinzaine de films à son actif, dont Nettoyage à sec (1997), qui traitait déjà d’homosexualité et Coco Chanel (2009), le biopic mettant en scène Audrey Tautou.
Le film est une sorte de conte sur la fuite d’un jeune homme perdu qui cherche la lumière. Du roman d’Edouard Louis En finir avec Eddy Bellegueule, il reste l’enfance avec le personnage du père qu’interprète Grégory Gadebois avec une ampleur et une puissance qui laisse sans voix et émeut par son réalisme. C’est un film de mouvements, dans lequel tous bougent, fuient, se métamorphosent et évoluent. Ils évoluent de l’ombre et des ténèbres les plus profondes de la campagne, de la pauvreté, de la violence et de l’ignorance afin de s’élever vers un Paris lumineux, artiste et opulent. Il y a de nombreux moments touchants dans ce film, comme celui lors duquel Abel, le prof de théâtre, révèle à tous son homosexualité et que Martin est là, le regarde de longues secondes, pétrifié, et finit par lui murmurer : « Je suis comme vous », avant d’éclater en longs sanglots.
Là où le film ne fera pas l’unanimité sont la représentation des deux univers et la dichotomie importante entre les deux faces de cette pièce. D’un côté, le petit monde gai, parisien et branché, et de l’autre, la misère, la violence et l’obscurantisme de la famille. Si le quinquagénaire, forcément riche, qui roule dans sa Jaguar, en écoutant de l’opéra pour draguer de jeunes hommes, met mal à l’aise et fait perdre en crédibilité la représentation de la famille de Martin. Cette dernière met mal à l’aise parce qu’on ne peut y croire, car on ne veut pas y croire et pourtant, elle est réelle. Elle n’est pas le reflet de toutes les familles qui vivent en région en France, mais elle trouvera écho dans le cœur de ceux qui viennent d’une famille modeste, voire pauvre, peu éduquée et violente, comme cela a trouvé écho dans le mien.
Le film oppose, par des allers-retours dans le temps et dans l’espace, les deux univers. Bien que la réalisatrice ne semble pas vouloir opposer les deux, on a l’impression qu’en les collant l’un à l’autre, il prend parti. Et c’est gênant, parce que l’homosexualité est une des thématiques utilisées pour mettre en exergue les différences entre les deux univers, mais c’est aussi un film sur l’élévation sociale et sur les classes sociales. S’il n’y a rien de mal à vouloir sortir de son milieu, certains pourront voir un jugement discutable sur la pauvreté. Le milieu scolaire est aussi représenté, mais avec plus de nuances, il est montré avec la violence crue du harcèlement et de l’intimidation, mais aussi avec la lumière d’enseignants qui tentent tant bien que mal de libérer leurs élèves. Là aussi, tout cela existe bien en France et c’est assez crédible, je peux le confirmer autant du point de vue des étudiants que des enseignants.
Reste que, si le film peut être discuté sur la réalité ou du moins la crédibilité des représentations des milieux représentés ou sur la critique sociale malaisante et le message d’opposition de deux France, le film est avant tout l’histoire douloureuse d’un jeune homme différent, né dans un milieu violent et difficile et qui doit, à la seule force de sa volonté, en sortir et accéder à un autre environnement qui lui conviendra. Le fait que les jeunes des communautés de la diversité sexuelle et la pluralité des genres quittent leur région dans le but de s’installer dans des métropoles afin de vivre ce qu’ils sont et de s’épanouir transcende les frontières et les nationalités. Pour conclure, c’est un film lumineux, mais pour apprécier le chemin, il vous faudra accepter d’être mis face à beaucoup de violence qui vous bouleversa probablement.
Si le film a des messages, c’est peut-être le suivant : ce n’est pas ce que l’on naît qui compte, c’est ce que l’on est (La faute est volontaire) et que partir est parfois salutaire.
Par Michel Hubert