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Homosexuels en Tchétchénie : c’est le sauve-qui-peut

Par Jean Louis Bordeleau, journaliste indépendant posté à Moscou

300 coups de barre de métal, des humiliations, cinq jours de prison qui débouchent sur des meurtres en toute impunité : c’est aujourd’hui la réalité des homosexuels de Tchétchénie, en Russie. Nous avons pu rencontrer un des survivants, qui implore la communauté internationale d’accorder des visas de réfugié au plus vite.

Réfugié à Moscou, Maxime* craint les voitures qui passent, les policiers et tous ceux qui ont l’air Tchétchènes. Le rêve des 75 autres survivants tchétchènes réfugiés à Moscou, c’est de partir de la Russie, vers l’Europe ou le Canada, peu importe. La diplomatie occidentale a des bons mots, mais Maxime déplore le manque d’aide concrète. « Les gens nous soutiennent, mais ensuite nous refusent le visa », lâche-t-il.

Pour Tatiana Vinnichenko, responsable à Moscou du réseau russe d’entraide LBGT, il faut que ces gens partent le plus rapidement possible. Son organisme paye le transport et l’installation à Moscou des survivants, mais ne dispose pas de moyens ni pour aider à long terme ni pour assurer leur sécurité. Le réseau travaille pourtant d’arrache-pied pour offrir un soutien physique et psychologique de première nécessité.

Tatiana Vinnichenko, du réseau LGBT de Russie, travaille d’arrache-pied pour aider les quelques 75 réfugiés Tchétchènes à Moscou.

Déjà, près d’une dizaine de Tchétchènes ont rencontré des représentants de l’ambassade canadienne pour des entrevues. Or, Maxime, comme beaucoup d’autres, désespère sur les processus qui s’étirent en longueur. Il patiente maintenant depuis un mois à Moscou, en attente d’une solution de la part de la communauté internationale. Contacté, le gouvernement du Canada n’a pas donné de détails sur la durée des procédures, mais dit prioriser les cas les plus vulnérables.

Des « camps de concentration pour homosexuels »

Caché dans la capitale russe, Maxime raconte comment son copain, un soir, l’appelle pour prendre une bière. En arrivant chez lui, 7 personnes l’attendent, le rouent de coups, fouillent son téléphone et l’accusent d’avoir des amours homosexuels. « On pense qu’on peut faire confiance à son copain de 3 ans… », souffle Maxime, les yeux assombris par les antidépresseurs. La république de 1,4 million d’habitants est « petite, et tout le monde se connaît. Avec un téléphone pris à quelqu’un, c’est ensuite facile de deviner qui est qui. » Finalement on le jette dans un petit hangar, avec une vingtaine d’autres personnes accusées du même « crime ». Des messages de survivants sur les réseaux sociaux appellent ces endroits, au nombre minimum de deux en Tchétchénie, « des camps de concentrations pour homosexuels ».

Au début, les geôliers lui lancent un avertissement : « Si tu traverses cette ligne sur le sol, on te bat. » Les séquestrés respectent la règle, mais les coups ne cessent pas. Sans raison et sans prévenir, des hommes font le tour de la cellule et se mettent à frapper ou torturer les captifs : électrochocs, sédatifs, coups de barres de métal. Ensuite, on écrase les mains, les pieds, les oreilles. Des gens vont et viennent dans la cellule « comme pour voir des clowns », raconte Maxime. On leur demande de se choisir des noms féminins, on leur jette des restants de nourritures, on les force à danser alors pourtant recouverts de sang… Si un détenu proteste, il se fait violemment passer à tabac.

Capture d’écran d’un vidéo Tchétchène, circulant sur les réseaux sociaux, menaçant la communauté LGBT de représailles

Après cinq jours dans la cellule, on l’emmène devant un tribunal de droit coutumier, courant pour divers règlements personnels en Tchétchénie. Devant la famille de Maxime, le juge laisse le choix: ou bien le tribunal exécute Maxime, ou bien la famille s’en occupe. « Mon père a décidé qu’il allait me tuer », lâche Maxime, après un long silence, l’air effondré. « Arrivé chez mes parents, mon père a sorti un bâton et voulu commencer à me battre. J’ai paniqué et enlevé mon chandail pour lui montrer mon corps couvert de plaies. « Pour me battre où ? À quel endroit ? ». Enfin, il s’est calmé et a décidé de prendre quelques jours pour réfléchir à la meilleure façon de me tuer. »

Par chance, son père doit s’absenter de la maison et Maxime en profite, avec l’appui de sa mère, pour prendre la fuite. Grâce au Réseau LGBT de Russie qui paye son voyage vers Moscou, il s’en sort avec des cicatrices sur le visage, les mains, et au fond de lui. Mais Maxime se trouve chanceux, car il dit avoir des amis pour qui la loi tchétchène s’est appliquée. Le témoignage de Maxime est unique, mais tous les récits de tous les autres rescapés interrogés dans les médias concordent. Il ajoute aussi que cette purge viendrait directement du président de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, une allégation corroborée par Human Right Watch.

Selon Yéléna Mac-Glandières, chercheuse à l’Institut français de géopolitique de l’Université Paris 8 et spécialiste de la région, que le président de Tchétchénie soit possiblement impliqué ne la surprend pas, lui qui est « habitué à l’indépendance, l’autonomie et l’impunité législatif », monnaie d’échange contre son support au président Poutine. Selon elle, que le droit coutumier surpasse le droit russe (qui ne pénalise pas l’homosexualité) n’est pas une surprise. Ce qui la surprend, c’est plutôt que cette purge « ne lui sert vraiment en rien. Déjà que Kadyrov n’est plus en odeur de sainteté à Moscou, [ces actions] donnent une image de la Russie qui n’a pas réussi à dépasser le féodalisme. Cela dégrade l’image de la fédération russe. Il est allé trop loin. »

*Craignant pour sa vie, Maxime est un nom fictif